« C’est la République française qui a aboli l’esclavage, on demande donc aux territoires ultramarins d’aimer la République… Il y a aux Antilles-Guyane, un sentiment identitaire, de réaction, qui mérite d’être entendu, mais qui ne mérite pas d’être entendu comme la Nouvelle-Calédonie qui a le mérite d’être entendu parce que ce n’est pas la même histoire. »
Ces propos ont été tenus à l’occasion du colloque « Les Outre-mer aux avants-postes » organisé par Le Point, le 2 février 2023 par le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer.
Ce colloque se déroulait à la Maison de l’Océan à Paris. Des propos qui ne sont pas passés inaperçus et qui ont immédiatement fait réagir. Dans un communiqué de presse, 17 députés ultramarins condamnent avec la plus grande fermeté ces propos.
« Au relativisme moral des puissances colonisatrices, persuadées d’apporter culture et savoir aux populations dont elles brimaient les capacités d’autodétermination en même temps qu’elles tuaient leur puissance créatrice, semble avoir succédé une forme nouvelle de révisionnisme historique. Si l’histoire coloniale est en effet plurielle dans sa réalisation (certains territoires sont conquis par la force, d’autres échangés, certains vendus ou annexés), elle est une dans ses causes (satisfaire des intérêts économiques et promouvoir des idéaux politiques et religieux) et dans ses conséquences actuelles : les outremer demeurent le pur produit de l’expansionnisme, restent envisagés comme des relais de puissance et d’influence, et sont tributaires de prismes nationaux car constamment ramenés à leurs vertus géostratégiques.
Nous tenons également à rappeler que l’abolition de l’esclavage est avant tout le fruit de la lutte de nos ancêtres, la consécration de tant de femmes et d’hommes aux vies sacrifiées, le résultat de la résistance constante des esclaves, contraints d’arracher leur liberté là où les décisions de la République mentionnée par Gérald Darmanin tardaient à être proclamées, et plus encore, à être appliquées. C’est cette même République qui maintient nos territoires d’outre-mer dans un état de sous-développement chronique et qui passe quasiment systématiquement sous silence les outre-mer dans les projets de loi présentés au Parlement, dessaisissant progressivement ce dernier de ses prérogatives.
Rappelons au ministre de l’Intérieur que nul ne colonise impunément : « partout où il y a colonisation, des peuples entiers ont été vidés de leur culture ». En ces quelques mots, Aimé Césaire résumait déjà la volonté émancipatrice de nos peuples, qu’ils soient guyanais, antillais, réunionnais, polynésiens ou néo-calédoniens, dont les revendications identitaires sont au coeur du processus en cours de réappropriation des fondements culturels dont ils ont tous été dépossédés et dont la légitimité n’a pas à être graduée.
Le président de la République et son gouvernement préparent activement une nouvelle loi de programmation militaire, dotée de centaines de milliards d’euros destinés notamment à renforcer les forces dites « de souveraineté » en outre-mer afin de sécuriser les 10,2 millions de km² composant la Zone économique exclusive de la France. Mais ils détournent sciemment le regard lorsqu’il s’agit d’assurer des conditions de vie (et de retraite) décentes aux populations des territoires qui lui assurent son rang de deuxième puissance maritime mondiale. Cette réalité ne semble pas, quant à elle, avoir le mérite d’être entendue. « Le cerveau fonctionne à la manière de certains éléments digestifs de type élémentaire. Il filtre. Et le filtre ne laisse passer que ce qui peut alimenter la couenne de la bonne conscience bourgeoise » -Aimé Césaire
Signataires
- Christian BAPTISTE, député de la Guadeloupe
- Moetaï BROTHERSON, député de la Polynésie française
- Elie CALIFER, député de la Guadeloupe
- Jean-Victor CASTOR, député de Guyane
- Steve CHAILLOUX, député de la Polynésie française
- Perceval GAILLARD, député de La Réunion
- Emeline K.BIDI, députée de La Réunion
- Karine LEBON, députée de La Réunion
- Tematai LE GAYIC, député de Polynésie Française
- Frédéric MAILLOT, député de La Réunion
- Max MATHIASIN, député de la Guadeloupe
- Marcellin NADEAU, député de la Martinique
- Jean-Philippe NILOR, député de la Martinique
- Jean-Hugues RATENON, député de La Réunion
- Davy RIMANE, député de Guyane
- Olivier SERVA, député de la Guadeloupe
- Jiovanny WILLIAM, député de la Martinique