La population est plus que jamais mobilisée dans l’affaire du scandale du chlordécone. Après une importante mobilisation samedi dernier dans les rues du centre-ville de Fort-de-France qui a vue plusieurs milliers de personnes défilées, c’est une pétition lancée en ligne qui démontre une nouvelle fois que cette population ne lâchera rien. En effet, lancée il y a quelques jours seulement, près de 30 000 signatures y ont été apposée.
Cette pétition qui concerne la Martinique comme la Guadeloupe a pour objectif de demander une justice impartiale. En effet, un non-lieu et une prescription dans ce dossier sensible pourraient être annoncés dans les prochaines semaines par la justice.
La description de la pétition lancée en ligne
Après 15 ans d’instruction, après la mobilisation des populations concernées, après des milliers de morts du cancer dues à l’épandage du chlordécone pendant des dizaines d’années en Martinique et en Guadeloupe, des magistrats évoquent aujourd’hui la possibilité d’un non-lieu dans le dossier judiciaire en cours. Le prétexte : une possible prescription des faits et le constat que des pièces du dossier auraient été mystérieusement égarées. Dans leurs conclusions rendues publiques les 20 et 21 janvier 2021, deux magistrats du TGI de Paris ont ainsi signifié aux plaignants que tout ce processus risque fort de déboucher sur un classement de l’affaire. Et pourtant, il s’agit bien, ni plus ni moins, de l’un des plus graves scandales sanitaires français, et d’une catastrophe écologique majeure pour les Antilles. Il s’agit de l’empoisonnement d’une population entière, du fait des dérogations coupables accordées par les gouvernements français successifs, à des planteurs qui ont pu tranquillement continuer pendant des années de souiller les sols de Martinique et de Guadeloupe avec un poison nommé chlordécone, l’un des plus virulents et dangereux pesticides qui soient, agent toxique non biodégradable formellement interdit en France dite « hexagonale » depuis 25 ans et depuis 1976 aux États-Unis.
La Martinique détient aujourd’hui le record mondial du nombre de cancers de la prostate au prorata de sa population, et celui du taux de mortalité lié à cette maladie. La Martinique et la Guadeloupe voient depuis plusieurs années une hausse exponentielle des cas d’accidents vasculaires cérébraux, de troubles neurologiques, de cancers du sein, des troubles de l’infertilité, et la liste est encore longue. Les liens entre cette dégradation accélérée de l’état sanitaire des populations et le rôle de ce pesticide illégal ont déjà été de longue date étayés par de nombreuses et solides études scientifiques. Les coupables sont pourtant connus. Des planteurs qui, en toute impunité, se sont vu accorder des dérogations par le gouvernement français, en contravention des normes sanitaires internationales. Aujourd’hui, après une procédure de près de 15 ans, et après des engagements d’indemnisation et de justice prises par l’actuel gouvernement, on tente de clore purement et simplement le processus en cours. N’hésitant devant aucun déni de justice, on signifie ce faisant aux populations martiniquaise et guadeloupéenne, que leur vie ne fait pas le poids devant les intérêts de ceux qui les ont empoisonnés, et qui ont souillé les sols de leurs îles pour 700 ans.
Alors même que le crime d’écocide fait son entrée dans le droit européen et que le Parlement européen vient de demander sa reconnaissance en droit international par la Cour pénale de La Haye, alors même que nous vivons de manière inédite une conscientisation planétaire devant l’urgence écologique, alors même que les peuples du monde entier exigent aujourd’hui des États qu’il assument leurs responsabilités en la matière… ne voilà-t-il pas que ce début de l’année 2021 sonne le glas de la promesse de justice tenue aux Martiniquais et aux Guadeloupéens en considération du grave préjudice collectif qui leur a été imposé par ce scandale du chlordécone. Nous nous mobilisons aujourd’hui pour exiger que tout soit mis en œuvre pour que cessent ces manœuvres d’intimidation et ces menaces de classement d’un dossier accablant où sont concernées les vies de populations entières. Nous n’acceptons pas qu’une conception inique et coloniale des procédures se substitue au légitime et impartial exercice de la justice, surtout quand la vie de centaines de milliers d’êtres humains est concernée.
Aujourd’hui, les Antillais se battent pour leur survie, et le respect de leur dignité. Nous entendons également par la présente pétition, exprimer notre solidarité avec les populations de Martinique et de Guadeloupe, et avec leurs élus unanimement mobilisés. Ne les laissons pas seuls face à un enterrement de première classe annoncé de la procédure intentée contre les profiteurs du chlordécone. Soutenons leur combat de toutes les façons que ça nous sera possible : pétitions, lettres ouvertes au président, adresses aux élus. C’est un combat pour la dignité de tous, et c’est un combat pour le respect des morts et des vivants. Ceci n’est pas le combat de quelques agités, ou de quelques esprits prétendument extrémistes : les Français doivent savoir qu’un écocide perpétré aux Antilles est aujourd’hui sur le point d’être ratifié par l’État, et « classé sans suites ». Les suites, elles existent déjà pour de bon : ce sont les morts du cancer en Guadeloupe et en Martinique, par dizaines de milliers. Laisserons-nous ces horreurs se perpétrer sans broncher ? Laisserons-nous ajouter l’inaction à l’ignoble ? Laisserons-nous se concrétiser la chronique annoncée et méprisante d’un non-lieu dans un cas qui concerne les vies des femmes, des hommes et des enfants de Guadeloupe et de Martinique ? MOBILISONS-NOUS ici et maintenant, sans attendre.