Ayayayayaye cette affaire de kanaval mawon! Mi bab mi!
Avant de commencer j’aimerais clarifier certaines choses afin d’éviter tout malentendu qui entacherait la compréhension de cet article:
– non je ne prendrai pas la défense des carnavaliers mawon.
– oui je comprends tout à fait les gens qui ne sont pas d’accord avec cette affaire de vidé an pyjama, de vidé en père Noel…
– non je ne participe pas à ces événements festifs, je reste tranquillement chez moi, je suis une no life.
Même si j’avoue que ça va me manquer de pas pouvoir chanter « embouteillage gwo lolo » cette année…
Le but de cet article est simplement d’essayer d’apporter d’autres pistes de réflexions sur ce sujet brûlant!
En effet, depuis le mois de novembre et le “vidé des pères Noel”, et à l’approche du carnaval, une vague de « vidé mawon » s’empare de l’île. Les choses prennent des proportions telles, que le préfet (source inépuisable d’inspirations de chansons) a prévu de « bandé bagay la »...
Bien évidemment les vidéos de ces manifestations font le buzz et suscitent des réactions contrastées:
– L’amusement “ah fout sé boug la ni toupé!!”
– Le soutien « yo fout ni rézon kité nou viv la vi nou! »
– La désapprobation « ils ne respectent rien ni personne. »
Chez ce dernier groupe, deux types de commentaires, dominent:
1) « On aura une vague de contaminations et on va encore nous reconfiner à cause de ces gens là »
2) « Le martiniquais quand c’est pour se battre pour vrais sujets, y’a personne, mais quand c’est pour faire la fête yo la! »
Et tu vois, à force de lire ça, j’étais obligée de me questionner.
A la première réflexion, franchement je dis joker.
Alors non, en effet, c’est pas bien de faire des rassemblements dans la rue en pleine pandémie.
Mais bon honnêtement, depuis novembre, j’ai pas entendu parler d’augmentation des hospitalisations et des décès non plus.
Y a t-il eu une corrélation entre « vidé mawon » et hausses des cas de covid19?… Pas que je sache hein (dis moi si je me trompe)…
Mais tu vois, le truc là des “martiniquais qui font toujours la fête”, ce truc là m’interpelle de ouf.
Pourquoi? Parce que j’entends ça tout le temps depuis, toujours.
Et moi j’ai appris à me méfier des phrases qui sont des lieux communs.
Est ce que réellement l’Antillais ne pense qu’à faire la fête?
Est ce que l’Antillais ne vit que pour son carnaval au point de mettre en péril la vie d’autrui?
Est-ce que l’Antillais est un gros bébé gâté immature qui ne se bat pas pour ses droits, son île, son respect?
« DU PAIN ET DES JEUX » ?
En gros est ce que l’on se contente de se nourrir et de se divertir au point ne plus se soucier d’enjeux plus exigeants ou à plus long terme concernant le destin de la vie individuelle ou collective?
C’est vrai que lorsqu’on voit notre société, dans certaines circonstances, on est en droit de se poser la question.
Ouais mais quand je regarde notre histoire, je vois bien qu’on s’est quand même souvent insurgé, avec des résultats plus ou moins probants d’ailleurs:
- Le 22 mai 1848 d’abord. Abolition de l’esclavage qui démarre d’ailleurs avec un mec qui veut jouer du tambour! (encore une histoire de musique)
« Nous connaissons tous l’événement déclencheur de l’insurrection du 22 mai.
Le 20 mai au soir à l’habitation Duchamp, le maître a interdit le tambour pendant la soirée de la grage du manioc ; pourtant c’est la coutume et Romain, le tanbouyé, refuse d’obéir ; il en résulte un « charivari ». Duchamp appelle les gendarmes qui arrêtent Romain et le conduisent à la geôle à Saint-Pierre. »
Marie-Christine PERMAL, intervention du 22 mai 2009 à l’Anse CAFARD
L’article complet c’est ici
- l’insurrection du Sud de 1870 avec une rébellion qui a duré une année…
- La grève de février 1900 “misié michel pa lé bay dé fran”
- Les événements de décembre 1959
- La grève de février 1974
- Le mouvement du 5 février 2009
- Les déboulonnages de 2020 impulsant une série d’actions similaires en France, en Angleterre, aux Etats-Unis (qu’on soutienne ou pas faut le dire)
Alors pourquoi certains nous voient comme un peuple « amorphe »?
Sans doute parce que ces dernières années, nous n’avons pas (encore?) trouvé un mouvement qui parvienne à fédérer la majorité. Il semblerait y avoir des balbutiements avec le collectif « anti chlordécone » mais bon eux ils polarisent grave l’opinion donc… JOKER!!
Ensuite, on peut se dire qu’on est moins enclin à se battre car nos conditions de vie ont changé: on vit dans une illusion de richesse (comparativement à 1974 par exemple), notre frigo est plein notre ventre aussi, on sent pas qu’on est au pied du mur, pourquoi descendrait-on dans la rue?
Mais dire qu’on n’est qu’un peuple de fêtard, ché pas… D’ailleurs le carnaval n’est pas seulement une fête…
UN CARNAVAL CULTUREL POLITIQUE ET SOCIAL
Le carnaval martiniquais n’est pas qu’un moment de débauche de wélélé et de vacabonnagerie. (vacabonnagerie qui a son importance d’ailleurs dans nos vies puisqu’il s’agit d’une soupape de décompression).
Non, comme toute fête antillaise, il soude le peuple.
La fête a cimenté la culture antillaise, elle est un symbole de résilience commune. Résilience d’un peuple, qui a toujours eu la force de célébrer la vie, même quand celle ci était difficile (c’est un doux euphémisme)…
Pas étonnant que « quand c’est pour faire la fête y’a du monde »!
Le carnaval martiniquais est aussi politique et l’a toujours été!
Il a toujours eu une portée sociale et politique. C’est un moment de revendication en vrai.
Le carnaval de St-Pierre déjà était une satire de la société de l’époque.
(pour plus de chansons de carnaval clique ici)
Et quand je regarde les images des derniers vidés, les chansons à l’intention du représentant de l’Etat sur l’île, les drapeaux RVN, le fait de chanter devant la police du Lamentin alors que les gars risquent clairement une amende… Je me dis que tout cela s’inscrit dans cette lignée.
Le carnaval permet de dénoncer avec humour, en tournant les choses en dérision. Le martiniquais est comme ça je pense, il commencera toujours par « mettre à la fête« , une situation qui fait pas rire du tout.
On dénonce avec le sourire, quid de la récente parodie de Bobi sur la banane martiniquaise? Et de la chanson des 12 salopards?!
« PEYI A KA BOUYI GOUDOUGOUDOU »
Comme le dit si bien nzilapawol !!
Encore une fois je ne suis là que pour donner mon ressenti sur les choses. Et mon ressenti est que ce carnaval 2021 est une forme de défiance envers la situation actuelle, les pouvoirs politiques, les mesures prises.
Je suis persuadée que parmi les « carnavaliers » y’en a qui vraiment ne peuvent pas rester tranquilles et qui profitent de tout ça pour défiler en robe pété parce que si yo pa fè sa yo ka senti yo kay mô! Genre vous pouvez pas rester chez vous cette année quoi!
Mais l’essence même du truc, c’est clairement de la défiance, le résultat d’un raz le bol général. Je suis sûre que ce carnaval est un prétexte pour montrer son mécontentement …
Alors oui, on parle de risques de contamination; avec raison, mais bon comme j’ai dit plus haut, so far so good (je touche encore plus du bois là).
Mais le truc, c’est qu’à partir du moment où on a l’impression que plus rien n’a de sens, que les efforts que l’on consent à fournir ne servent à rien, que les décisionnaires multiplient les incohérences du type: on confine l’île en Novembre alors qu’on est dans le vert, et un mois plus tard on ouvre les vannes aux touristes (qui soit dit en passant n’ont pas augmenté les cas de contaminations) et encore un mois plus tard on ferme les frontières et on veut reconfiner…
Au bout d’un moment c’est normal de se retrouver avec une partie de la population qui n’y comprend plus rien, qui en a marre, qui réalise qu’elle est en train de tout perdre sans en comprendre les raisons et qui se dit « annou fouté fè! »
Parce que quand les choses n’ont plus de sens, ben ça laisse place à la lassitude la défiance et la désobéissance civile.
Et ce sur tout le territoire.
– hashtag #JeNeMeConfineraiPas lancé d’ailleurs par un médecin
– appel à ouverture des restaurants ce lundi 1e février en France hexagonale
– et un président qui a dû mal à reconfiner
La question est importante, presque philosophique:
Jusqu’où peut on aller pour sauver des vies? A quel point peut on sacrifier la vie économique, sociale, pour sauver la vie biologique? Quelle vie, pour ceux qui restent en vie?
Le but c’est pas de dire que c’est bien ou pas, le but c’est pas de prendre la défense d’un camp ou d’un autre, car encore une fois je comprends les arguments de chacun.
A titre personnel je m’étais déjà préparée à ce qu’il n’y ai pas de carnaval, et on en mourra pas.
Mais si il y a des martiniquais qui veulent faire leur vidé à tout prix, je ne peux m’empêcher de voir avant tout une forme de défiance qui nous est propre d’ailleurs. Je nous reconnais bien là.
En ce qui concerne les luttes sociales, sociétales, environnementales, je me dis que peut-être qu’on a enfin trouvé une « bonne forme » (la fameuse bonne forme)de revendications : quitte à demander réparations autant le faire avec un groupe à pied des collants des perruques et des strings. Qui sait peut être qu’on arrivera enfin à fédérer ?!
Chacun est libre de ses choix, chacun est libre de critiquer les choix des autres, chacun prendra ses responsabilités, en attendant protégez vous au max les gars, car la situation est vraiment inquiétante ne l’oublions pas!